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La Bible est autant un instrument de domination qu’une arme de destruction massive. C’est le constat alarmant que nous sommes en droit de tirer après lecture du troublant Qui est Dieu ? de Jean Soler, diplomate érudit et brillant penseur du monothéisme.

Notons aussi, avant de détailler le contenu du livre, que certains de ses éléments critiques ont déjà été étudiés par des auteurs aussi divers et prestigieux que Julien l’Apostat, Spinoza ou Nietzsche…entre autres.

« Dieu » ou « Iahvé » ?

La majorité des Bibles sur le marché, à l’exemple de l’édition Segond 21, sont des traductions erronées, mensongères et intéressées. A défaut de lire couramment l’hébreu comme le fait Soler, il suffit de travailler sur une version assermentée par les hautes autorités religieuses pour se rendre compte d’une première manipulation capitale.

Prenez une Bible à la traduction opportune donc, Exode 3,18 vous pourrez y lire : Dieu dit encore à Moïse : « Voici ce que tu diras aux Israélites : L’Éternel, le Dieu des Hébreux, nous est apparu ». Lorsque le Dieu des Hébreux s’adresse au fondateur de la religion juive pour la première fois, il indique son nom véritable « Iahvé », et non L’Eternel (qui n’est pas un nom propre !), Dieu (qui se dit en hébreu elohim) ou encore le Seigneur (adonaï), voire L’Unique. La différence est déterminante ! Car si Iahvé a un nom propre c’est avant tout pour se distinguer des autres dieux. A quoi bon un nom si l’on est unique ?

A signaler aussi que la Torah (cinq premiers livres de la Bible transmis par Moïse) n’a pu être, comme le prétendent certains apologistes, dans un premier temps rédigée au XVème Siècle av. J.C….sachant que l’hébreu est une langue apparue au mieux au VIIIème siècle av. J.C.! Soler va jusqu’à démontrer que la Bible est pour l’essentiel contemporaine de Socrate et de Platon (Vème siècle av. J.C.)…en pleine époque polythéiste donc.

De plus, l’Histoire a tendance à confondre la monolâtrie et le monothéisme : le premier désigne la vénération d’un dieu particulier placé au dessus des autres, le second la conviction érigée en dogme qu’il n’existe qu’un Dieu. Cela semble pourtant clair dans l’Ancien Testament. Par exemple Michée 4,5 : « Tous les peuples marchent chacun au nom de son dieu, et nous nous marchons au nom de Iahvé, notre Dieu, pour toujours et à jamais ».
C’est d’ailleurs dans cette perspective que cette prescription de Moïse (Deutéronome 5,7) devient autrement limpide : « tu n’auras pas d’autres dieux devant moi ».

Nous comprenons mieux désormais, comment et pourquoi la Bible raconte l’éviction acharnée des autres dieux – parce qu’étrangers – sous l’ordonnance d’un Iahvé « jaloux » (Exode 20,5). (Du reste, s’il était le seul dieu, de qui pouvait-il être jaloux ?)
Autre fait troublant : une des premières divinités à être écartée est la compagne même de Iahvé : Ashéra -ou Astarté – ! (deuxième livre des rois 23,4 et 23,7).

De nombreux vestiges en Mésopotamie (aujourd’hui l’équivalent de l’Irak…) témoignent de l’importance des dieux pour les nombreux peuples y ayant vécus. Citons, par exemple, Assur pour les Assyriens, Marduks pour les Babyloniens ou encore Ahura-Mazda pour les Perses

 « Ecrasés dans le territoire des chacals… »

Mais alors pourquoi prétendre au monothéisme dans un monde qui de partout se caractérisait exclusivement par la pluralité et la diversité des êtres surnaturels ?

Il est d’abord important de rappeler que chaque peuple se ralliait à un dieu à partir du moment où celui-ci lui était bénéfique : une conquête territoriale, une protection contre un envahisseur…bref il fallait que les puissances divines s’accordent avec l’épanouissement de leurs peuples.

Concernant les Israélites – ou peuple hébreu – rien n’est historiquement prouvé quant à la sortie d’Egypte ou la conquête de Canaan, par exemple. Un peu comme la guerre de Troie vis à vis des grecs. Il était surtout coutumier, en ces temps antiques, de reconstruire son passé lointain sur des mythes. En revanche, les nombreux vestiges archéologiques de l’ancienne Mésopotamie recèlent d’inscriptions mentionnant les victoires et les défaites de peuples aussi différents que les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Lydiens, les Phéniciens, les Sumériens ou les Arabes, pour ne citer qu’eux. Mais rien sur les juifs.

Soler conclut que ce sont les déboires et les échecs répétés de l’ethnie des Israélites, ainsi dépossédée de toute terre et ignorée des peuples voisins, qui est à l’origine de la révolution monothéiste. Echecs et indifférences malgré son alliance avec un Dieu présenté comme le plus grand des dieux ! Le  Livre Psaume verset 44,10 &  verset 44,20 témoigne de cette abandon : « Oh Iahvé tu nous as couverts de honte, tu ne sors plus avec nos armées,…tu nous livres comme des brebis de boucherie, tu nous disperses parmi les nations, tu vends ton peuple pour rien…Tu nous as écrasés dans le territoire des chacals. »

Il a fallu que les juifs subissent un traumatisme, et même plusieurs pour qu’ils inventent une religion inédite. Pour survivre en tant que juifs, ils ont été contraints à restructurer sur d’autres bases les croyances qui fondaient leur identité. Ce peuple naufragé, qui risquait de disparaître corps et biens en tant que peuple biologique, s’est donné une existence littéraire. Ils ont cherché dans l’écrit leur salut. Ainsi les juifs ont matérialisé leur identité dans la Bible, ils sont devenus le « peuple du livre ». Les Perses, pour leur part n’avaient aucun besoin d’écrire les péripéties de leurs relations avec leur dieu national Ahura-Mazda. Ils leur suffisaient de le remercier, dans les inscriptions laconiques, de leur avoir donné l’hégémonie du monde. »

 Ne pas être contaminés par les étrangers

L’unité ethnique et la cohésion sociale assureront, face à l’adversité, la survie du peuple juif. Pour cela il doit rester « à l’écart » des autres peuples, insiste la Torah, non pas pour être dignes d’accomplir auprès d’eux une mission universelle, comme le soutient le judaïsme de notre temps, mais pour qu’ils ne soient pas contaminés par eux. C’est en étant « saints » qu’ils bénéficieront à nouveau de l’alliance d’un Dieu qui est lui-même « saint », c’est-à-dire séparé des autres dieux. D’où la multiplication des commandements (jusqu’à 613 !) et des rites d’expiation ou de purification : refus total des mélanges, du mixte, de l’hybride. Devenir « la race sainte » (Esdras 9,2), « ne plus se rendre immonde, séparer le pur de l’impur » (Lévitique 20,25).

Cette auto-ségrégation est constitutive de l’identité hébraïque. Pas de conversion, de pacte et de partage possibles dans la Bible. Le peuple de Iahvé est misoxène, racialiste et donc raciste : il n’a pas vocation à l’universel. « Comment les juifs pourraient-ils éclairer, poursuit Soler, les autres peuples sur la Vérité détenue par eux, s’ils s’interdisent de manger à leur table, d’épouser leurs filles, et de les associer à leur religion ? »

Tous les peuples polythéistes s’apparentaient à des ethnies culturelles. La cohabitation de différentes cultures religieuses témoignaient d’un plus grand esprit de tolérance et de partage…à contrario de tout nationalisme ethnique et belliqueux.

Ainsi une des particularités du monothéisme est sa violence inhérente. A l’image de tous les commandements divins s’adressant exclusivement au peuple hébreu, l’interdit de tuer par exemple n’est qu’à usage interne. Pour témoigner de sa fidélité à Iahvé, l’une des meilleures recommandations bibliques demeure l’invite à anéantir dans l’espace hébraïque les représentations des dieux étrangers, autrement dit infliger la peine de mort aux autres dieux. Mais il ne suffit pas de supprimer ces différentes divinités, aussi faut-il supprimer jusqu’au dernier leurs adeptes installés sur la terre…promise. L’appel à l’anathème n’est donc rien d’autre qu’une exhortation à une purification ethnique . Aucun compromis n’est envisageable : il ne peut y avoir de cohabitation sur la même terre. Josué « battit tout le pays et ne laissa aucun survivant et voua à l’anathème tout être animé, comme Iahvé, le Dieu d’Israël, l’avait ordonné » (Josué 10,40). Une trentaine de cités passe ainsi au fil de l’épée. Il n’en reste pas moins que même imaginaire, il s’agit bien là du premier génocide en date de la littérature mondiale.

Les juifs de l’antiquité se concevaient comme un peuple fermé, une ethnie tribale : est juif celui qui descend de l’un des douze fils de Jacob, dit Israël. De ce fait, tous les Israélites sont apparentés parce qu’ils ont un ancêtre commun. Ainsi le judaïsme, du roi Josias à nos jours consiste à appliquer et à commenter ce que Moïse dit que le dieu lui a dit. Rien de réellement divergent ne peut être soutenu. »

Cédric Bernelas